J'étais enfant. Presqu'ado. Le piano, c'était obligatoire. Chaque jour, un temps négocié, soigneusement mesuré à l'aide du minuteur de cuisine. Celui qui surveillait la cuisson des frites du déjeuner du samedi. Péniblement, à intervalles réguliers, il en sortait un "morceau". Une oeuvre apprise par coeur et jouée de bout en bout avec le moins d'erreurs possible. Je ne m'en tirais pas trop mal en général. Technique à améliorer, mais bonne musicalité, disait mon père. Il m'écoutait religieusement jusqu'à la dernière note. Et invariablement, ce dernier accord, dernière bouchée d'un moment agréable, comportait LA fausse note. Parfois la seule du morceau.
Il souriait et me disait que j'avais l'art de saboter la musique et de laisser la pire impression qui soit.
Cette année 2014 qui s'est terminée hier soir, a été à l'image de mes prestations pianistiques. Elle a été riche de tas de hauts, de bas, de rires, de larmes, de projets, et s'apprêtait à se terminer sur un ton optimiste et léger, quand tout à coup, la pendule a marqué 10h du matin, et que la note qui vient tout gâcher a été jouée.
Le peintre qui donne un coup de pinceau malheureux, le poète qui rime de travers, tout ça peut se corriger et il n'en reste plus trace. Le musicien qui place un "pain", lui, ne peut pas arrêter le temps et revenir en arrière.
Aujourd'hui, et pendant un bon mois, nous allons tous échanger des phrases "meilleurs voeux, bonne année, que 2015 vous apporte etc..." Plus ou moins automatiquement, plus ou moins sincèrement. Mais toujours aussi inutilement, hormis le plaisir de constater que vous figurez encore sur quelques listes de voeux. Ce n'est malheureusement pas ça qui vous empêchera de tomber malade, de passer une année merdique, de prendre des kilos ou de vieillir prématurément.
La nuit dernière, j'ai entendu des bruits au dehors. J'ai regardé l'heure: minuit. Et puis les minutes ont défilé, sans qu'aucun message de bonne année ne me parvienne, par quelque canal que ce soit. Saud peut-être une voix extra sensorielle que je n'ai pas su détecter...
Et ce matin, trois emails "automatiques " sur mon écran, dont un de l'Urssaf. Qui a la délicatesse de ne pas y inclure de voeux.
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